• Je vois 3

    Je vois 3

    L'hosto 2

    Changer le monde. Il parait qu'il faut être jeune et con pour penser qu'une chose pareille puisse être possible, alors c'est que je correspond aux 2 critères, pourtant, je suis pas sûr que quand je serais vieux je serais moins con et que j'aurais perdu mes illusions sur nos capacités à faire avancer les choses : je resterais persuadé que si un jour, un jour un seul, on s'active tous ensemble à rendre ça possible : on y arrivera.
    Ce jour ne viendra jamais, j'ai perdu mes utopies à ce sujet, par contre, je reste persuadé que petit à petit (dougoum dougoum , comme on dit en Afar) , on peut rendre possible en quelques décénnies ce qui le serait par cette journée. Il faudrait juste pour ça qu'on en est la volonté commune. Mais ça, c'est pareil, j'ai beau resté idéaliste, j'y crois plus vraiment non plus. Alors je me force .
    C'est sûr que c'est plus simple de se dire que c'est une utopie, que ça sert à rien de se battre, c'est facile de se planquer dans le confort de son siège en regardant le bus dans lequel tous nos frères se trouvent foncer droit dans le mur et se dire : « heureusement que j'ai attaché ma ceinture, et les autres, ils ont même pas d'airbag ? oh ! les pauvres ! ».

    Ne plus croire, ne plus rêver, ne plus se dire innocemment que c'est possible : c'est peut-être ça la lâcheté finalement.

    Je vois qu'j'y crois plus. Je sais qu'c'est que passager, mais comment voulez vous qu'je continue d'y croire alors que, en travaillant dans le plus grand hôpital public du pays, je vois les gosses mourir à la pelle. Refermer des linceuls, c'est quelque chose que j'ai appris à très bien faire ici. J'ai pourtant pas appris que ça, je me suis amélioré, je bosse vraiment mieux, techniquement, je suis au point, médicalement, j'apprends sans arrêt, je connais bien mon service, mes collègues, mes mamans et mes gosses. Mais je vois bien que c'est jamais assez, la moindre petite victoire se fait avec des contre parties parfois catastrophiques, c'est rude. C'est rude des fois de batailler des heures durant à maintenir et surveiller un enfant, de le faire tant et si bien que t'en délaisse les autres, et le lendemain quand tu reviens au boulot, t'apprends que non seulement celui pour qui tu t'es battu s'est envolé, mais en plus qu'un autre enfant que t'avais délaissé parce que tu t'rendais pas compte de la grâvité de sa situation, s'est envolé aussi. C'est rude des fois de devoir enlever l'oxygène à un enfant qui respire mal parce que tu reçois une urgence avec un autre enfant qui respire mal, c'est rude de faire ce choix en 2 secondes en se demandant ce qui vaut le mieux : privilégier ceux qui ont le plus de chance ou bien aider celui qui est dans le pire état, c'est rude des fois de soutenir le regard d'une maman. C'est rude des fois de voir un gosse aller mal, de pas oser lui passer un traitement que tu crois judicieux et de voir son lit remplacer par un autre minot qui va tout aussi mal le lendemain, c'est rude des fois de voir un enfant mal en point, de lui passer en urgence le traitement que tu crois judicieux, et de retrouver son lit remplacer par un autre gosse le lendemain, c'est rude des fois de ne connaître le résultat de ses actions ou de ses inactions que quand le résultat est mauvais. C'est rude de voir des enfants atteints de pathologies si graves que même en France on galèrerait à les soigner, ici, on les regarde mourir ( ce qui est mieux que fermer les yeux) et si on peut vraiment rien faire pour soulager, on les renvoie chez eux. C'est rude de tenter de soigner des enfants dont les 9/10ème ont des diahrées et des vomissements et de pas avoir de médicament pour calmer ça. C'est vraiment rude de soutenir le regard d'une maman après avoir enfermé son enfant dans un tissu. C'est vraiment rude de soutenir le regard d'un enfant dont l'âme s'est envolée. Je repense à ceux qui m'ont dis auparavant que je faisait un beau métier : métier de merde ouais ! C'est dur de dormir, rire et vivre avec ces images au fond du crâne : des fois tu fais des nuits blanches alors que t'es crevé, et lendemain tu retournes bosser sur les rotules alors qu'il faudrait être une formule 1 qui tourne au diesel. Je vois qu'c'est dur ça, je vois qu'c'est dur de constater que ton service est rempli au 2/3 d'enfants malnutris, que c'est dur de les suivre les malnutris : leur poids, leur phase de régime, leur maman, leur lait, leur appétit, leur diahrées leurs vomissements et leurs toux, leur traitements leur fièvre, la façon dont la maman donne le lait, les effets secondaires de ce putain de lait renutritif de merde, ... C'est dur avec les mamans, des fois y en a t'aurais envie de les secouer comme des chiffons et y en a d'autres qui sont sans arrêt en train de t'appeler pour des conneries qui en valent rarement la peine. Quand je galérais encore sur la technique, y en a eu des très dures avec moi et ça aussi c'est dur. C'est dur de se retrouver au milieu, pris entre 2 feux dans une dispute de mamans dont tu ne comprends pas le langage. C'est dur d'apprendre ce langage : le somali, autant l'arabe avait commencer à rentrer avec une facilité qui m'épatait, autant là je retiens rien et c'est pourtant pas faute de bonne volonté mais j'ai bien peur que les bénévoles qui arrivent 2 à 3 mois après moi sache vite mieux parler que moi. Par contre, je vois que j'ai fais des progrès ahurissants en empathie, langage des signes, lecture des regards compréhension d'une conversation en fonction du ton utilisé, en bref dans tous les domaines du système D de la communication humaine. Mais c'est dur, parcequ'une fois que j'aurais acquis les bases du somali, il me restera encore à apprendre l'afar et l'amarik : y a beaucoup d'afars et d'éthiopiens dans le service, c'est dur. C'est dur de voir sortir des enfants que tu sais qu'ils ne sont pas guéris malgré qu'ils aillent un peu mieux, c'est dur de voir la queue des familles qui attendent pour rentrer, c'est dur de trouver de la place pour les nouveaux, c'est dur de dire à une maman de revenir le lendemain en voyant que son enfant va d'un état que tu qualifie rapidement de « moyen », c'est dur de pas la voir revenir le lendemain. C'est dur de te dire à propos d'un enfant : « celui là, vaut peut-être mieux qu'il meurt ». C'est dur de voir mourir un enfant que tu croyais qui allait survivre.

    C'est très dur de voir 2 étoiles s'éteindre dans les yeux d'un enfant que tu tiens dans tes bras.

    C'est rude et c'est dur. Et si c'est pour ça qu'j'y crois plus, alors vraiment ne plus croire c'est être lâche. Vous inquiétez pas pour moi, je saurais me relever, je sais bien que tout ça de toute façon :
    C'est la Vie.

    La vista, la muerta, je les vois et je les côtois toutes 2 , alors qu'elles n'ont jamais été pour moi si proches l'une de l'autre : d'un côté tous ces enfants qui décèdent ( et y en a tellement), essentiellement des nouveaux-nés et des malnutris et de l'autre côté, je n'ai jamais vu service médical plus vivant, les cris, les pleurs, les rires, les joies et les désespoirs, ces mamans prêtent à tout pour sauver leur enfant et celles qui ont perdu espoir depuis belle lurette. Je vois qu'en France on se dit que la culture africaine accorde plus d'importance à ses personnes âgées parcequ'elles sont plus rares que par chez nous, et qu'en revanche, il y a moins d'attachement pour les enfants. Je vois que même si y a une partie de vrai, notamment dans les attitudes masculines, pour les mamans ce n'est pas le cas et la vie d'un être est pour elle essentielle et ce jusqu'au bout, même quand toi t'as perdu le plus petit espoir. Cela dit, la mortalité infantile étant ce qu'elle est, les populations qui en sont victimes ont simplement une aptitude à accepter la fatalité que nous avons oublié dans nos univers ultra protégés. La Vie et la Mort . On apprécie la première qu'en étant conscient de la seconde.

    J'ai appris le métier en m'adaptant aux moyens dont je pouvais disposer, puis, je suis devenu bon, vraiment bon, je peux tenir le service surchargé à moi seul, prendre en charge les malnutris, évaluer et traiter des urgences, ... Mais même après ça, les gosses tombent toujours et encore et j'arrive à rien faire contre : ce mois saint de Ramadan a été un carnage dans le service . Nos horaires ont changé mi-septembre, on change tout le temps de cycle entre matin, après-midi et nuit, tout ça sur 4 jours (je vous dispense de mes heures sup'), du coup, tu respires plus et le jeûn ajouté à ça, tu deviens une sorte de zombie qui ne vit pour rien d'autre que pour le boulot, dont le sommeil est hanté par le regard creu inerte et vide de cette belle adolescente qui a déréglé son diabète en jeûnant, que t'as pas réussi à rééquilibrer faute de moyens de matériel et de connaissances, par les yeux creux et déjà cadavériques d'une petite malnutrie dont t'as pas réussi à stopper les diarrhées et les vomissements, par le teint blanc de cet enfant devant lequel t'es passé en prenant ton service, tu l'as trouvé pâle mais il semblait serein en plein sommeil, alors tu t'es pas arrêté, pas par flemme mais parce que t'avais pas envie de le réveillé parce que dès qu'il aurait ouvert les yeux et aurait vu ton visage blanc, il se serait mis à pleurer sans qu'on puisse l'arrêter : 15 minutes plus tard, tu le retrouve mort.
    C'est dur et c'est rude putain d'être constamment pris par ces questions qui ne te lâchent jamais : Qu'est ce que j'aurais dû faire ? Qu'est ce que j'aurais pu faire ? Comment faire mieux ?
    Je vois que je me demande qui, du soignant ou du serial killer a la conscience la plus tranquille parce que la mienne est pas au beau jour.

    J'étais complètement dans cet état d'esprit en cette fin de Ramadan, laissant la mort prendre le pas sur la Vie dans ma mentale d'infirmier, et il se serait fallu de peu pour qu'elle prenne le pas sur la qualité de mon boulot. Je sais plus comment on appelle ça, le burning-out ou un truc comme ça, en tout cas, j'allais me brûler quand ça a commencé, il parait que le besoin de reconnaissance est essentiel à l'Homme et je le crois volontiers parce qu'alors que je m'étais persuadé de l'inutilité de mon travail, j'ai compris qu'il n'en était rien, que je peux continuer de me crâmer, ça servira, aussi sûr que 1+1=3.
    Le dernier jeudi du Ramadan, j'étais d'après midi avec Fadoun, ça s'était bien passé malgré qu'on ait plusieurs enfants très mal. Pendant le service, une maman vient me voir et me demande l'autorisation de me donner une lettre : j'accepte et toute l'après-midi, à chaque fois que je passe dans sa chambre, je la vois écrire méticuleusement sur un petit bout de papier. Elle me donne sa bouteille à la mer alors que je vais prendre le dîner avec mes collègues, je crois alors que c'est une lettre d'Amour (j'en ai déjà reçu une et plus d'une maman m'a déjà fais des avances( et des belles, Parole)). Après le repas, Moktar et Idriss arrivent pour prendre la relève. Une fois fini, je veux montrer un nouveau né à Moktar et on le trouve en arrêt. A Nous 4 et pendant plus d'une ½ heure on va le réanimer pour finir par perdre le combat (Dieu ait ton âme p'tit bout). Je quitte le service juste après ça pour arriver à l'appart où c'est la fête, ce soir on a invité les amis que l'on s'est fais ici depuis notre arrivée. Je suis triste, je suis mal et je commence la soirée par les épices pour me fermer un peu plus encore dans ma petite bulle, depuis que je travaille ici, j'ai jamais pleurer si ce n'est 2 larmes le lendemain de la mort de Tito et Toti. J'aimerais pourtant tellement y arriver, je sens au plus profond de moi que j'en ai besoin, mais ça viens jamais. Je commence à faire la fête : sourires jaunes, faux rires et explosage de tête, quand, en me déplaçant je fais tomber la lettre de Ayane. Je l'avais complètement oubliée. Je vais la lire, assis par terre sur le palier. Au fur et à mesure que je déchiffrais tant bien que mal son message, son appel à l'aide où elle m'explique comment sa fille, Nasteho (hospitalisée pour malnutrition), est née il y a 1 an dans le désert alors qu'elle essayait de franchir la frontière, combien elle galère pour s'occuper d'elle, et où elle me demande si je peux lui trouver un boulot comme femme de ménage pour pas que sa fille devienne « une ratée comme sa mère » ; mon visage a commencé à se désintégrer en une espèce de grimace inhumaine, j'ai tenu jusqu'à la dernière ligne avant d'exploser en sanglots, de ces larmes qui te font cahoter et gémir. Ca a duré je sais pas combien de temps, en tout cas, je suis monté sur le toit me promettant de faire tout ce que je pourrais. Mais quoi ? Et c'est là que j'ai compris : mon MAXIMUM, pour Ayane et Nasteho comme pour tous les autres. Faut pas lâcher l'affaire, jusqu'au bout, même sans espoir. A la Koolau.
    Le premier jour, où j'ai commencé le boulot à Balbala, je faisais l'entrée, et un gosse de 14 ans se plante devant moi. Un peu maigre, mais en bonne santé ( je le reconnais mais je pas y croire, pour moi il est mort de puis plus de 2 mois), je lui demande son nom, il m'répond Alo.

    Je vois que j'y crois.

    Depuis que j'ai travaillé ailleurs , je vois qu'j'ai compris que ce service était le dernier recours, c'est pas partout comme ça heureusement, et maintenant que l'étude démarre, je ne travaille plus dans un service en temps que tel, mais un centre de renutrition à Balbala. J'y ai un boulot de barré, mais c'est très différent


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :